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Par DAVID-JULIEN Rahmil
5 déc. · 5 mn à lire
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Weirdcore, l’esthétique du bizarre qui définit les années 2020

Si je vous dit champignons hallucinogènes qui ont des yeux, pavillons agencés sur une colline herbeuse surréaliste ou bien sensation de vivre le cauchemar d'un enfant, vous me répondez en hurlant "WEIRDCORE !" en sautant partout tel un yamakasi excité. Vous avez bien raison.

Weirdcore by D-J RWeirdcore by D-J RÀ la fin du mois d’aout dernier, on a découvert un cancer à ma femme. Enfin, “découvert” est un mot un peu faible puisque la tumeur a littéralement fait exploser son colon l’amenant à une opération en urgence et 5 jours de réanimation. S’en est suivi la chimio, la valse des infirmières à domicile, et toutes les joyeusetés qui accompagne ce genre de saloperies, je vous passe les détails. Tout ça pour dire que depuis la rentrée, je n’ai pas une stabilité mentale tip-top ce qui m’a plongé dans une recherche un peu frénétique de contenu feel good sur les Internet. Et ce qui semble le mieux marcher ave moi, c’est un type de contenu très particulier, à la fois inquiétant et surréaliste. Je veux parler du weirdcore.

L'enfant inquiétant su seapunk et de l'angelcore

J’ai toujours eu du mal à saisir le concept même d’une esthétique tant c’est une activité bien spécifique que de les capter et de les encapsuler. Pour la plupart des mortels qui ne travaillent pas dans le graphisme ou la mode, l’esthétique est avant tout une chose que l’on vit sans vraiment se rendre compte. Je me souviens de l’esthétique des années 90 (ou du moins j’en ai un souvenir plus ou moins reconstruit) qui me frappe quand je regarde par exemple des images d’archives de la télévision ou des films. Mais j’aurais du mal vous dire ce qui constitue l’essence même de l’esthétique des années 2010 ou 2020 par exemple.

Sur Internet, les choses sont différentes, sans doute parce que les supports sur lesquels les esthétiques sont détectables peuvent être classés et rangés les unes à côté des autres pour former un tout cohérent. Il y a aussi des codes visuels, des impressions qui s’échangent et se répondent d’un support à l’autre a qui l’on finit par donner un nom. Un autre phénomène que j’aime beaucoup avec les esthétiques web c’est qu’elles sont toujours situées quelque quelque part entre le kitch absolu et le génie trop ironiquement perché pour être parfaitement compris. Enfin c’est en tout cas comme ça que je pourrais définir le seapunk ou le angelcore, des esthétiques très en vogue vers la fin des années 90.

Esthétique du cauchemar

Le weirdcore semble être la suite logique de ces esthétiques étranges. Depuis 2021, elle a littéralement explosé sur les réseaux et notamment sur TikTok, preuve qu’elle touche surtout les adolescents et les jeunes adultes. Le terme weirdcore n’est d’ailleurs pas le seul utilisé pour désigner l’esthétique qui nous intéresse. On parle aussi de liminal spaces ou bien encore de dreamcore. L’idée principale derrière les visuels et de mettre en scène des espaces modernes étranges souvent déserts, abandonnée ou nocturne. Les banlieues de pavillon s'étendant à perte de vue ou bien les mall américains ou les zones de jeux d’intérieur vidés de leur client servent souvent de décors pour les vidéos de Savanah Moss qui incarne des serveuses de McDo ou des baristas de Starbuck Café fantomatique avec étrange obsession pour le lait et les cascades débiles.

Il faut ajouter cela une touche de surréalisme donnant l’impression de traverser un rêve ainsi qu’un aspect enfantin un brin corrompu qui est souvent mis en avant. Cet élément qui constitue le coeur de la websérie Don’t hug me I’m scared se retrouve notamment dans les vidéos de Drive45music qui finissent par former des boucles existentialistes extrêmement dérangeantes.

drive45drive45Musicalement (car oui, on trouve des playlists weirdcore), on va être sur de vieux enregistrements de musique d'ascenseur qui semblent tourner en fond sonore ou bien des synthés ou du 8 bits avec un côté lancinant et un peu inquiétant. On va être sur un truc qui rappelle la fameuse musique qui mettait mal a l’aise de Lavanda town de Pokemon.

Du JRPG dans mon bizarre

Le fait que je parle de Pokemon n’est d’ailleurs pas un pur hasard (téma la transition). L’un des aspects les plus saillants du weirdcore me semble être son affiliation au jeu vidéo et notamment aux RPG japonais. C’est une chose que l’on repère notamment dans les vidéos TikTok de 𝔻𝕣𝕖𝕒𝕞𝕔𝕠𝕣𝕖.ʎdɐɹǝɥꓕ qui fait parler ses personnages avec du texte défilant et une image fixe qui ne bouge que pour signifier une émotion.

DreamcoreDreamcoreCette affiliation ne doit rien au hasard. L’une des œuvres fondatrices du weirdcore n’est autre que le jeu indé Yume Nikki sorti en 2007. Dans cette œuvre surréaliste le joueur incarne Madotsuki, une jeune fille hikikomori qui ne sort jamais de son appartement, mais qui s'évade dans ses rêves et ses cauchemars. Dès cette époque, le jeu comportait déjà les éléments essentiels du weirdcore à savoir une musique lancinante, des décors inquiétants et surréalistes, la sensation de déréalisation (c’est-à-dire de détachement vis-à-vis du monde) et l’exploration de traumatisme et des souvenirs d’enfance.


Ce sont ces éléments qui sont justement “activés” par cette esthétique particulière et provoquent selon l’état d’esprit de l’internaute qui y est confronté, un sentiment de soulagement et de confort ou bien de crainte et d’anxiété (ou bien les deux en même temps). Et c’est justement pour cette raison qu’elle connait autant de succès. Dans un contexte de post-pandémie, face à un monde qui déraille et un manque de perspective d'avenir, de récession économique et d'écoanxiété, les vingtenaires sont totalement fucked up. Ils trouvent refuge dans un univers qui les met dans la situation d’un enfant effrayé, mais pas vraiment apte à comprendre ce qui lui fait peur. Quant à moi, j’imagine que j’y trouve le même réconfort que devant un bon film d’horreur qui sait tellement bien cristalliser une angoisse qu’elle permet, pour un temps, de l’exorciser.

Sources : https://aesthetics.fandom.com/wiki/Weirdcore